France Culture - TERRE À TERRE
Émission du 20 mai 2006
Le maintien de la souveraineté alimentaire
passe par les semences traditionnelles
et le refus des OGM...
Des conférences de
citoyens pour mettre en scène les conflits
et respecter enfin le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Avec : Dr Michel Pimbert,
de l’IIED (Institut international de l’environnement et du
développement)
Retranscription bénévole de l’émission formidable du samedi 20 mai 2006, de
7 h à 8 h :
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/terre_a_terre/fiche.php?diffusion_id=41288
[Introduction :]
Ruth Stégassy : Intense actualité, cette semaine sur les notions de secret, de
public, de dévoilement et accusations en tous genres. Dans le flux limpide et
bouillonnant des informations, nous en retiendrons deux :
- tout d'abord le procès en
appel des quarante neuf faucheurs d'OGM à Orléans. Ils avaient été relaxés en
première instance au motif que leur acte découlait d'un état de nécessité dû à
un danger imminent. Mardi dernier, l'avocate générale a requis en appel des
peines plus lourdes. C'est là qu'on en vient au débat public sur les OGM ?
Non. Le dernier qui a eu lieu comme d'habitude s'est passé en catimini, sur
internet.
- deuxième épisode: cette
semaine l'interpellation ce même mardi 16 Mai de Stéphane Lhomme, porte-parole
du réseau "sortir du nucléaire". Pendant qu'il passait une bonne
grosse journée en garde à vue à Bordeaux, la DST perquisitionnait son domicile
pendant cinq heures et saisissait son téléphone portable, ses deux ordinateurs
personnels et un document d'EDF, classé "confidentiel défense", dans
lequel il est question de la vulnérabilité de la future centrale nucléaire EPR
en cas de crash d'un avion suicide. Débat public cette fois ? Non plus. La
dernière fois que ce document a été évoqué il a été censuré lors du débat
public organisé par la commission nationale du débat public.
Mais alors de quoi parle-t-on ce matin ? Mais de débat public,
comme promis, au Mali.
[Entretien :]
Ruth Stégassy : Michel Pimbert vous êtes installé en Angleterre depuis quelques
années maintenant au sein d'une institution qui est mal connue en France,
l'IIED.
Michel Pimbert : Oui. c'est cela ; depuis à peu près six-sept ans, je travaille
à l'institut international pour l'environnement et le développement, à
Londres. C'est un institut qui travaille sur les politiques de développement et
d'environnement comme son nom l'indique. J'y coordonne le programme agriculture
durable et bio-diversité, et essentiellement nous faisons un travail avec des
partenaires en Afrique, en Asie, en Amérique latine, des groupements de
paysans, des représentants de peuples indigènes mais aussi des membres de
gouvernements et des ONG.
Ruth Stégassy : C'est un organisme national ?
Michel Pimbert : C'est un organisme national au vu de la loi anglaise, puisque
c'est une association, mais c'est un organisme à vocation internationale qui
reçoit des financements de différents gouvernements d'Europe, essentiellement
des pays scandinaves, de l'Union européenne, pas tellement de pays du sud de
l'Europe
Ruth Stégassy : dans lesquels vous incluez la France ?
Michel Pimbert : bien sûr ! Non, l'Angleterre ne finance pas des instituts
français et la France a priori ne finance pas des instituts basés en
Angleterre.
Ruth Stégassy : On va venir sur ces questions de l'agriculture durable, mais
quels sont les autres domaines couverts par l'IIED ?
Michel Pimbert : alors c'est un institut qui comprend à peu près soixante douze
personnes :
À peu près quarante cinq d'entre eux sont des chercheurs qui
travaillent sur des questions d'aménagement du territoire, sur la gestion des
forêts, des zones humides, sur la bio-diversité, sur l'agriculture.
À peu près soixante dix pour cent des chercheurs travaillent sur la
gestion des resources naturelles et des moyens d'existence.
On a également un groupe très très actif qui travaille sur les zones
urbaines et leur avenir, un groupe qui travaille sur des questions de
gouvernance, internationale et nationale, et enfin un autre groupe plus petit
qui travaille sur le changement climatique.
Et tous ces différents programmes essayent de faire le lien entre
l'environnement et le développement, en se focalisant tout d'abord sur les
dynamiques locales et on remonte du local vers le national et l'international
pour essayer de comprendre l'impact d'institutions, de politiques, de
cadres législatifs sur la vie des gens de par le monde.
Ruth Stégassy : remonter du local, quand il s'agit d'un local aussi fortement
diversifié que celui auquel vous avez affaire - vous avez cité l'Asie,
l'Afrique - ce n'est pas évident ; cela veut dire que vous devez
construire des modèles de réflexion, d'observation, ou même de mise en
pratique ?
Michel Pimbert : on doit surtout construire des partenariats avec des acteurs
qui sont sur le terrain, soit en Inde, soit au Mali, soit au Pérou, soit en
Indonésie, soit en Europe de l'est - et ça c'est très très
important - des personnes ancrées dans leur réalité locale mais qui savent
également que ce qui se passe au niveau national, au niveau supra-national pèse
sur leur vie et conditionne ce qu'ils peuvent faire ou ne pas faire. On vit
dans un monde de plus en plus globalisé et il est important de faire ce lien
entre le local et le global; qu'on touche à des questions d'environnement ou de
développement. Donc, on privilégie des rapports, des relations de travail avec
des acteurs locaux en prise avec des situations qu'ils connaissent bien, et on
remonte en faisant des liens avec des politiques de développement et d'environnement
à différents niveaux et en intégrant des expertises nécessaires pour comprendre
telle ou telle facette d'un problème qui est toujours complexe et qui évolue
constamment.
Ruth Stégassy : Alors vous allez nous donner quelques exemples pour qu'on
comprenne. Est-ce que vous pourriez nous raconter ... tirer un fil comme ça
... partir d'une situation très locale et me raconter comment vous remontez ces
différents échelons ?
Michel Pimbert : Et bien je vais vous donner un exemple tout récent: c'est le
cas d'un jury citoyen qui c'est déroulé au Mali. Un jury citoyen c'est
comme une conférence de consensus - comme vous l'appelez en
France - et ici
Ruth Stégassy : conférence de citoyens, plutôt
Michel Pimbert : ici, ce qu'on a essayé de faire c'était de rassembler un groupe
de producteurs et productrices d'une région du Mali - la région de Sikasso -
qui est la principale productrice du coton.
Le Mali, comme beaucoup d'autres pays d'Afrique de l'ouest, est
confronté à toute la problématique des OGM, à savoir : est-ce qu'il faut des OGM chez
nous ou pas ?
Et nous avons travaillé avec la société
civile et le gouvernement local au Mali pour construire un processus de
délibération citoyenne qui permettait à des gens ordinaires, des hommes,
des femmes, de différents ages, des gros producteurs, des petits producteurs,
des moyens producteurs, en association avec différents acteurs locaux, de
mieux comprendre quels étaient les enjeux liés à l'utilisation des OGM,
quels étaient les avantages et les désavantages.
Sikasso a été, donc, une situation locale, un microcosme, mais qui a
été nourri de réflexions en provenance de différents pays du monde, puisque nous avons invité toute une série
de témoins experts qui sont venus présenter le pour et le contre de l'utilisation
des OGM en relation avec l'agriculture. Des témoins experts invités
d'Europe, d'Afrique, d'Asie…
Ruth Stégassy : qui peuvent être ces témoins experts ? Est-ce que ce sont
des membres par exemple des grandes entreprises de bio-technologie qui vendent
aujourd'hui des OGM ? Est-ce que ce sont des utilisateurs d'OGM ?
Est-ce que ce sont des scientifiques qui travaillent sur ces questions
là ?
Michel Pimbert : Alors, les témoins avaient des origines très diverses: certains
étaient des chercheurs en biologie moléculaire, d'autres étaient des leaders
paysans, d'autres encore travaillaient pour des firmes multinationales,
d'autres étaient des paysans qui avaient utilisé des OGM, notamment en Inde, et
qui avaient un témoignage à apporter à partager avec des paysans et des
paysannes réunis dans le cadre de cet ECID - cet espace citoyen
d'interpellation démocratique. Donc le principe c'est d'inviter toute une
gamme de témoins experts ayant des sensibilités différentes et des points de
vue très contrastés sur une question donnée, en l'occurrence les OGM et
l'industrialisation de l'agriculture.
Ruth Stégassy : Donc, ces gens-là défilent et font un petit laïus ? Est-ce
qu'ensuite il y a discussion entre eux, entre eux et les citoyens qui font
partie de la conférence ? Concrètement, techniquement comment cela se
passe ?
Michel Pimbert : alors, chaque témoin expert présente son argumentaire pendant
25-35 minutes et, à la suite de cet argumentaire, cette personne doit accepter
de répondre à toutes les questions posées par les membres du jury réuni, donc
un panel de producteurs et de productrices.
Et cette période de questions-réponses peut durer jusqu'à 45 minutes,
parfois une heure.
De même, plus tard dans le processus, les membres du jury peuvent
réinviter ce témoin expert et le ré-auditionner, lui poser des questions plus
précises, fouiller un peu plus, de façon à obtenir l'information dont ils et
elles ont besoin pour développer une opinion, une série de recommandations qui
les satisfassent.
Ruth Stégassy : C'est un processus long ?
Michel Pimbert : C'est un processus, dans le cas de l'ECID du Mali, c'est un
processus qui a duré cinq journées.
Mais cela c'est ce que l'on voit. Il y a toute la phase préparatoire,
qui a duré au Mali huit-neuf mois, où il a fallu sélectionner les producteurs
et les productrices sur la base de critères bien précis, inviter les témoins
experts de façon que tous les points de vue contradictoires soient représentés,
des points de vue franchement pour, des points de vue franchement contre et
intermédiaires, sur la question des OGM et de l'avenir de l'agriculture.
Ruth Stégassy : Toute cette préparation, Michel Pimbert, c'est votre institut
l'IIED qui s'en est chargé complètement ? Ou est-ce que vous étiez déjà
basé au Mali et est-ce que les citoyens étaient déjà impliqués dans cette
préparation là ?
Michel Pimbert : Alors, l'IIED travaille au Mali depuis plusieurs années, y
compris dans la région de Sikasso. Par contre, cette initiative de l'ECID a été
construite en collaboration avec des acteurs locaux, l'assemblée régionale en
l'occurrence et une quinzaine d'institutions locales, et deux organismes
européens: le RIBIOS - le Réseau Interdisciplinaire pour la
Bio-Sécurité - basé à l'Université de Genève, et l'IIED, mon institut,
basé à Londres. Les financements venaient du gouvernement suisse, via le RIBIOS
et l'Université de Genève, et du gouvernement néerlandais, via l'IIED basé à
Londres.
Ruth Stégassy : Et donc, c'est depuis le Mali que les invitations ont été lancées
à tous ces experts internationaux.
Michel Pimbert : C'est cela. L'assemblée régionale a invité tous les témoins
experts en utilisant leur papier à en-tête - c'était leur affaire, ils se
sont approprié le processus - et au nom du comité de pilotage, ils ont
procédé à toutes les invitations sur recommandation des membres du comité de
pilotage et mure discussion. Également l'assemblée régionale a travaillé avec
les responsables des communes de Sikasso pour faciliter le recrutement des
membres du jury. Le seul aspect qui a été un petit plus pris en compte par les
acteurs internationaux c'a été le choix de certains membres du comité
d'observateurs indépendants - c'est un comité qui a été créé pour veiller à la
bonne conduite, la rigueur, la transparence et l'équité de l'ensemble du
processus. Pour cela, il fallait des personnalités maliennes mais également des
personnes venues d'Europe, dans un souci de pluralisme, d'avoir des regards
différents sur quelque chose qui se passait à Sikasso mais qui, pourtant, avait
une portée internationale.
Ruth Stégassy : Leur rôle c'était simplement d'observer ? Ou bien est-ce
qu'ils participaient à la discussion, au questionnement ?
Michel Pimbert : Le rôle du comité d'observateurs indépendants était de veiller
à la bonne conduite de l'ensemble du processus. Donc, ils étaient impliqués
dans toute la phase préparatoire; un petit groupe du comité de pilotage les
tenaient régulièrement au courant des choix méthodologiques, des décisions
importantes prises, discutaient de cela avec eux, et le comité d'observateurs
s'assurait qu'il n'y avait pas de biais ou de vice de forme. Lors de l'ECID
proprement dit qui s'est déroulé sur cinq jours, cinq de ces personnes
- il y en avait sept - cinq de ces personnes étaient avec nous, constamment,
pour bien observer in situ ce qui se passait, bien voir par eux-mêmes
qu'il n'y avait pas de biais, de triche.
Ruth Stégassy : qui aurait pu être quoi ?
Michel Pimbert : et bien, tout simplement, que des acteurs extérieurs cherchent
à influencer, par exemple, les producteurs et les productrices ; on aurait pu
très bien avoir des membres de l'industrie ou de la société civile venant le
soir et essayant de persuader tel ou tel producteur d'adopter telle ou telle
position ...
Ruth Stégassy : ça ne s'est pas passé ?
Michel Pimbert : non ça ne s'est pas passé ; ça ne s'est pas passé, on a eu un processus très rigoureux et qui a
été jugé comme étant largement équitable et transparent.
Ruth Stégassy : Alors, ces cinq journées, Michel
Pimbert, quel souvenir est-ce que vous en gardez ? Comment est-ce quelles se
sont passées. Je sais que vous aviez
aussi fait appel aux médias et que les discussions étaient relayées minute
par minute c'est à dire que les radios diffusaient en continu le contenu des débats.
Michel Pimbert : C'est cela. Une des précautions qu'on
a prises dans la méthodologie, c'était d'intégrer les médias dès le départ. On
s'est dit que cet événement qui avait lieu dans un microcosme à Sikasso, était
important pour toute l'Afrique de l'Ouest et pour le monde entier, à un moment
où il y a tout un débat sur les OGM. En faut-il, n'en faut-il pas, quelles sont
les implications pour l'agriculture et aussi en terme de choix de société.
Donc, on a cherché à construire un dispositif
qui permette d'amplifier les voix des paysans et des paysannes, et de faire en sorte que ce qui était dit
au cours de l'ECID puisse être entendu au niveau d'un cercle de personnes
beaucoup plus large.
Et on a eu la grande chance de travailler
avec sept radios locales, sept radios de proximité qui se sont associées à ce
projet, qui faisaient partie du comité de pilotage. Et effectivement, ces
radios locales ont relayé seconde par seconde, minute par minute, tout le
déroulement des débats, des délibérations dans l' ECID.
Donc on pouvait aller sur les marchés, on
pouvait aller dans la campagne, on pouvait aller dans les bureaux de Sikasso,
les gens écoutaient la radio…
Ruth Stégassy : Vraiment ?
Michel Pimbert : Oui,
vraiment, le niveau d'engouement pour cet événement a été considérable et c'est
largement grâce au travail de ces radios locales qui se sont complètement
impliquées et qui ont senti que c'était une opportunité formidable pour faire
leur métier de journalistes.
Et de montrer également au gouvernement local
qu'on pouvait traiter l'information, qu'on pouvait utiliser la radio de cette
façon là pour résoudre des problèmes de développement ou d'environnement.
Donc, pour les gens des médias ça a été un
moment unique, et ça a été très très fort pour tous. On sentait très très bien
qu'on vivait une expérience unique, inédite, mais également historique.
Ruth Stégassy : Et le métier de citoyen, Michel
Pimbert
Michel Pimbert : Le métier de citoyen ? Je ne sais pas
si c'est un métier…
Ruth Stégassy : Là, en l'occurrence, c'était aussi
une expérience unique, d'être confronté pendant cinq journées entières dans des
débats et des discussions.
Oui. En fait, pour moi, ces méthodologies
de délibération et d'inclusion sociales, s'inscrivent dans une tradition de
démocratie directe.
Elles partent du constat que la démocratie
représentative telle qu'on la connaît de nos jours pose d'énormes problèmes.
De plus en plus de personnes, et pas
seulement des pauvres, des exclus, se sentent aliénés et distants, pas du tout
représentés par leurs gouvernements. Il y a une crise de la démocratie.
Ce qu'on a vécu au Mali, encore une fois dans
un microcosme, a été décrit par plusieurs maliens comme étant une continuation
de la démocratie qui avait été conquise de haute main en 1991, au moment de la
révolution malienne.
Et je crois que pour moi ça a été le plus
beau compliment qu'on ait pu nous faire à tous, c'est d'entendre les gens dire
: pour nous, ce qui se passe là dans l'ECID, c’est la démocratie en marche au
Mali. C'est la continuation de tout notre travail pendant les années 90 pour
ouvrir de nouveaux espaces de démocratie.
Ruth Stégassy : Le contenu des débats, maintenant.
Est-ce que vous vous doutiez ou vous imaginiez dès le début ce que serait le
résultat, la décision finale ?
Michel Pimbert : Je ne savais pas du tout quelle
pouvait être l'issue du débat. Les témoins experts rassemblés représentaient
bien l'ensemble des points de vue. Il était impossible au départ quelle allait
être l'issue de l'ECID.
J'ai personnellement était très très surpris,
non pas par le rejet des OGM parce que c'était la position plus ou moins
unanime des paysans et des paysannes, mais plutôt, ce qui m'a surpris,
c'était la qualité de la réflexion, la pertinence de la réflexion et les
messages que les membre de l'ECID envoyaient au membres du gouvernement, à la
recherche.
J'ai été très très surpris par exemple
d'apprendre que la commission des gros producteurs – parce que nous avions
scindé l'ECID en plusieurs commissions : une commission de gros producteurs, de
petits producteurs, de moyens producteurs et une commission entièrement faite
de femmes – et bien cette commission de gros producteurs motorisés, leur
première recommandation, ça a été de dire : étant donné qu'au Mali, 89% des
paysans sont des petits paysans et que seulement 2% sont des gros paysans
capables d'accéder aux biotechnologies modernes, par conséquent, les OGM c'est
pas pour le Mali.
Et je dois dire que cet argument qui
consistait à rejeter les OGM sur la base d'un argument d'équité provienne
justement de la commission des gros producteurs.
Ruth Stégassy : Oui parce que justement ils auraient
pu souhaiter l'arrivée des OGM pour pouvoir gagner encore d'avantage de terres
et devenir encore plus gros.
Michel Pimbert : Oui, c'est le préjugé que j'avais, et
en fait, je pense que c'est pour ça que j'avais été très très surpris par cette
première recommandation.
D'autres recommandations, par exemple les recommandations
des femmes, de la commission des femmes, était très forte à la fois en terme de
résistance, d'expression de résistance, d'une volonté de résister à
l'introduction des OGM.
La commission des femmes a dit par exemple que
tous les agriculteurs qui cultiveraient des OGM de façon illégale devraient
avoir leurs champs brûlés; de même, toute introduction illicite des OGM devrait
être brûlée.
Donc une expression de résistance très forte,
très combative, avec un sentiment de défense de la vie très affichée, et en
même temps des recommandations très constructives, très positives quant aux
alternatives, formulant le souhait, une recommandation, destinée au
gouvernement, aux décideurs, à la recherche publique, pour favoriser l'essor de
l'agriculture biologique, des démarches en agro écologie, la valorisation des
produits locaux et des marchés locaux.
Et là, on rejoint toute la problématique de
la souveraineté alimentaire. Elles n'ont pas parlé de souveraineté alimentaire
mais la formulation de leurs recommandations et leur réflexion montraient bien
ce souci de construire leurs agricultures paysannes à partir de leurs savoirs
locaux, de leurs institutions locales, et de la biodiversité dont elles
disposaient.
Ruth Stégassy : C'est très frappant, Michel
Pimbert, d'entendre qu'il y a eu comme ça, unanimité, alors même qu'il y avait
discussion et débat contradictoire !
Est-ce que vous avez pu repérer les
arguments, les éléments qui ont été décisifs dans cette prise de décision collective,
puisque vous dites quatre commissions qui chacune a délibéré séparément et qui
arrivent à des résultats identiques ? Est-ce que vous avez une idée de ce
qui a fait basculer ?
Michel Pimbert : Les résultats ne sont pas strictement
identiques d'une commission à l'autre. Je dirais qu'elles sont complémentaires.
Le trait d'union, c'est le rejet des OGM.
Mais les différentes commissions ont mis
l'accent sur différentes choses.
Par exemple la commission des moyens
producteurs a beaucoup insisté sur le rôle de la recherche, a mis en garde la
recherche publique de ne pas faire de travail sur les OGM parce que "nous,
paysans maliens, nous ne voulons pas des OGM".
Ruth Stégassy : c’est-à-dire qu'on ne peut plus les utiliser
comme alibi.
Michel Pimbert : Voilà !
Chose que fait allègrement la recherche publique depuis de nombreuses années.
J'ai moi-même travaillé dans le domaine de la
recherche agronomique et je connais bien ce discours d'instituts nationaux et
internationaux.
Et ce qui est intéressant, c'est que les
paysans ont fait une analyse politique très fine qui s'est reflétée dans leurs
recommandations : Ne faites pas de travail sur les OGM parce que nous, paysans,
nous n'en voulons pas! C'était très subtil et en même temps très direct, comme
analyse.
D'autres commissions ont mis l'accent sur les
alternatives et sur la nécessité de diversifier le modèle agricole.
Sortir du coton, (un héritage colonial de la
France), une culture qui est de moins en moins rentable : les cours du coton
chutent de façon abominable, et le revenu des paysans et le revenu de l'état
malien diminuent. Les paysans sont de plus en plus en difficulté. Donc, que
faire ? Diversification, sésame et autres cultures biologiques. Donc, des
propositions.
D'autres commissions étaient plus préoccupées
par les questions éthiques. Par exemple, émettant l'idée qu'il n'est pas bon
sur le plan éthique et culturel et spirituel, de mélanger des gènes de plantes
et d'animaux.
On est dans une société musulmane mais avec
un fond animiste et l'idée de transformer la mère nourricière - Prayamachi - qui est le nom utilisé au Mali pour
décrire les OGM interpelle beaucoup et dérange beaucoup les paysans.
D'autres commissions ont mis l'accent sur le
problème des semences et la perte de contrôle sur le premier maillon de la
chaîne alimentaire par le biais des brevets sur les semences.
Donc, il y avait tout un ensemble de
recommandations et, globalement, c'était un verdict très très riche. Le trait
d'union, comme je le disais, c'était le rejet sur les OGM, mais l'accent et
l'articulation de ces recommandations était très distinct d'une commission à
l'autre.
On a enregistré tous les débats parce qu'une des précautions méthodologiques
que l'on a adoptée et qu'on adopte toujours dans des cas comme ça, c'est de
constituer des archives audio et des archives vidéo de façon de
permettre à des tierces personnes qui contesteraient l'issue de l'ECID, ou qui
contesteraient la crédibilité du processus, permettrait à cette personne
d'écouter les bandes audio, de visionner les bandes vidéo et de se faire sa
propre idée sur ce qui c'est passé en réalité.
Ruth Stégassy : Tout ce processus d'une extrême
richesse, Michel Pimbert, ne peut pas, en France, nous laisser indifférents
puisque nous avons eu un certain nombre de conférences de citoyens, en effet,
comme vous le disiez. La question que ça pose, est celle de l'articulation avec
le politique.
C'est-à-dire que vous avez bien dit dès le départ
de l'entretien, que c'était une démarche qui partait du local pour aller vers
le plus global, vers le plus large, national, international.
Est-ce que vous avez le sentiment que cette
conférence-là, l'ECID sera entendue davantage que ne sont entendues en France
les conférences de citoyens, qu'elles concernent les OGM, le nucléaire, et qui
ne sont pas prises en compte.
C'est-à-dire que le processus bute sur le
refus du politique de le prendre en compte.
Michel Pimbert : ça, c'est la grande question.
L'ECID de Sikasso a eu lieu il y a trois
mois. Il s'est déroulé la dernière semaine de janvier 2006. Donc il est un peu
tôt pour en tirer des conclusions quant à l'impact politique de cet ECID.
Néanmoins, trois mois après, ce qu'on peut
dire, c'est que, pour beaucoup, cet ECID a été une formidable expérience
pour la démocratie malienne, une avancée.
Ça a vraiment été perçu comme ça et célébré
de cette façon là, et je crois que ça donne des béquilles à l'imagination
sociale de beaucoup de gens.
Et pas seulement des maliens : plusieurs
témoins experts un français - un paysan français de la Confédération paysanne
invité comme témoin expert - ainsi qu'un journaliste suisse sont repartis chez
eux en disant : « Les maliens ont des formidables leçons de démocratie
à nous donner, nous, français et nous, suisses ».
Pour vous dire quel était l'impact de ce
processus en termes de bouffée d'oxygène de démocratie et de citoyenneté.
Sur le plan politique, ce que l'on sait
aujourd'hui, c'est que le gouvernement central, le gouvernement de Bamako, a
été très ébranlé par l'issue de l'ECID, il ne s'y attendait pas, et, disons que
ce verdict citoyen arrive au mauvais moment pour le gouvernement du Mali
puisque une partie de ce gouvernement aimerait introduire une législation
permettant l'expérimentation en pleins champs avec les OGM.
Or, l'ECID, grâce aux médias, des gens de
votre profession, a fait tellement de bruit au Mali à un moment qui se situait
entre le Forum Social de Bamako et une grande réunion de la F.A.O qui discutait
de l'alimentation et de l'agriculture pour toute l'Afrique, et on me dit que
l'ECID a plané sur toute cette conférence de la F.A.O, puisque les médias
répercutaient encore les voix des paysans et des paysannes, alors que dans la
salle où se réunissaient la F.A.O et les représentants du gouvernement, il
était question de biotechnologies modernes pour pallier à la faim et améliorer
les chances de développement de l'Afrique, les paysans et les paysannes maliens
disent "nous on n'en veut pas, on a d'autres solutions et on aimerait que
la recherche et les politiques se pensent sur ces solutions là.
Ruth Stégassy : Et leur voix traverse les murs épais
de la F.A.O ?
Michel Pimbert : On ne sait pas encore. Ça fait trois
mois que cette affaire a eu lieu. Ce qu'on propose de faire avec les
partenaires maliens, c'est maintenant d'accompagner un processus de
restitution, et de construction de solidarités et de coalitions à différents
niveaux. Au niveau local, mais également au niveau national.
Par exemple, on va appuyer l'Assemblée
Régionale, donc le gouvernement local, pour faire en sorte qu'une restitution
adéquate soit menée au niveau du Haut Conseil des Collectivités Locales et
ensuite au niveau de l'Assemblée Nationale.
Et l'Assemblée Régionale, le gouvernement
local, souhaite répercuter les voix de leurs élus au niveau national. Ils
veulent jouer ce rôle, et on s'est engagés à les aider, à les appuyer, sans les
remplacer puisque c'est leur rôle politique.
Ils sont mandatés par le peuple pour faire
cela, mais on va leur donner un appui logistique, un appui en termes de
ressources pour faire en sorte que ça se fasse.
Quel est l'impact, maintenant, sur d'autres
acteurs très très présents sur la scène malienne et la scène de l'Afrique de
l'Ouest, notamment U.S.I.D. qui a pour
mandat d'introduire les OGM en Afrique, c'est sur leur site internet, ça fait
partie de leur mandat, U.S.I.D finance
beaucoup de pays de l'Afrique de l'Ouest actuellement et est très présent dans
la formulation des textes pour la biosécurité, la gestion des semences, et
l'orientation des programmes de recherche.
De même les firmes comme Monsanto ou les
branches philanthropiques de firmes telles que la fondation Singenta sont très
actives dans l'orientation des grandes options agro-alimentaires du Mali et de
l'Afrique de l'Ouest.
Les enjeux sont énormes, le marché potentiel
des semences est considérable dans toute l'Afrique.
Donc, on se doute que ces entreprises ne vont
pas lâcher le morceau puisqu'elles fonctionnent suivant une logique de profit,
elles doivent satisfaire leurs actionnaires. On ne sait pas encore quelle va
être leur réaction, comment ces firmes vont se positionner par rapport à
l'issue de ce jury citoyen.
Ce que je veux dire par là, c'est que nous
sommes engagés dans un processus de construction de solidarités, et,
pour certains acteurs maliens dans un processus de construction de
résistance, parce qu'ils ne veulent pas des OGM, ils veulent un autre
modèle de développement agricole, une autre recherche et d'autres politiques
agro-alimentaires.
Ruth Stégassy : Peut-être, Michel Pimbert,
pouvez-vous nous donner des éléments de réponses, puisque vous le dites, on ne
sait pas encore, on est engagés dans un processus, mais si vous vous appuyez
sur des expériences plus anciennes, puisque celle-ci, celle de l'ECID au Mali
est extrêmement récente, vous le disiez, elle a quelques mois à peine, des
expériences antérieures ? Je sais que vous êtes allé en Inde ; c'est un projet
qui a été très important.
Michel Pimbert : Oui, nous avions organisé il y a
quelques années maintenant, un processus similaire mais peut-être un petit peu
plus ambitieux dans l'état d'Andrapradesh, en Inde du Sud.
On a appelé ça Prajaterpu,
le tribunal populaire.
Et là, nous étions confrontés à une situation
avec nos partenaires locaux où, finalement, le gouvernement de l'Andrapradesh,
avec la Banque Mondiale et le gouvernement britannique, proposaient ni plus ni
moins la transformation radicale de toute la société et de l'économie de
l'Andrapradesh.
Le projet s'appelait Vision-2020.
Vision-2020, dans le domaine
agro-alimentaire, proposait ni plus ni moins de déplacer quelque chose comme 30 à 35 millions de
personnes, des petits producteurs, faire en sorte qu'ils quittent leurs terres
et aillent vivre à la ville.
C'était un projet qui se proposait tout
simplement d'implanter le modèle agricole américain dans une situation agraire
où la majorité de la population travaille de la terre - quelque chose comme 85%
des agriculteurs en Andrapradesh sont des petits paysans, 75% de la population
est rurale -.
Vision-2020 proposait, en vingt ans, de faire
ce que l'occident a fait sur un siècle et demi, c'est-à-dire se débarrasser de
beaucoup de personnes vivant dans la campagne d'activités pastorales,
agricoles, de cueillette, de chasse. Parce qu'il y avait également en
Andrapradesh une population autochtone qui vit dans les forêts qui est
importante.
Par ailleurs, ce projet remarquable, se
proposait d'introduire mécanisation, remembrement, OGM, système informatique…
Enfin, c'était un projet absolument fou, qui
avait été concocté en premier lieu par la Fondation américaine Mc Kenzy. Des
consultants de Mc Kenzy ont développé Vision-2020 adapté aux besoins de
l'Andrapradesh, et l'élite gouvernementale a tout simplement accepté ce plan,
ce qui a froissé beaucoup beaucoup de politiciens de tous bords, de
planificateurs, de technocrates, de fonctionnaires au sein du gouvernement
lui-même, puisque c'était essentiellement une structure étrangère et privée qui
élaborait les politiques de développement et de l'environnement de
l'Andrapradesh.
Alors inutile de dire que dans ce contexte
là, beaucoup de personnes étaient inquiètes. Ce qui nous inquiétait, nous avec
nos partenaires, c'était tout simplement et plus fondamentalement, que la voix,
l'opinion des petits
paysans que l'on proposait d'évacuer les campagnes n'était pas du tout prise en
compte.
C'était un modèle unique, une pensée unique
appliquée au développement de l'Andrapradesh.
Et, étant donné que le gouvernement
britannique était impliqué, que la Banque Mondiale était impliquée, il fallait
une réponse internationale.
Cinq organisations se sont combinées, se sont
jointes, pour structurer un processus de jurys citoyens : ateliers scénario du futur pour réfléchir sur l'avenir des
politiques agro-alimentaires de l'état d'Andrapradesh.
On a préparé trois scénarios du futur :
Vision 2020. Un deuxième scénario qui visait à miser sur l'avantage comparatif
de l'Andrapradesh : productions biologiques, mais en vue de l'exportation,
chose que beaucoup de supermarchés cherchent actuellement. Beaucoup de
supermarchés, en occident souhaitent obtenir à plus bas prix les productions
biologiques d'Argentine, du Chili, de l'Inde, de l'Indonésie, des Philippines
ou de l'Afrique.
Il y a également une réflexion au niveau de
l'OMC et de l'OUMFAD qui va dans ce sens,
donc c'est un scénario tout à fait plausible.
Et le troisième scénario était un scénario
qui était beaucoup plus calqué sur les principes de développement gandhiens de
développement endogène, fondé sur l'exploitation des ressources locales, des
savoirs locaux, des institutions locales et des agricultures paysannes.
On a invité un ensemble de témoins experts pour arguer en faveur ou contre ces
différents scénarios.
Le jury était composé essentiellement de
petits paysans. On avait
pris le parti d'inclure des petits paysans dans une situation démographique où,
précisément, la majorité des paysans sont des petits paysans, la majorité sont
des femmes. Donc, ce jury était composé aux deux tiers de femmes. C'était
important d'entendre leurs voix.
Les membres de ce jury ont été absolument
fantastiques dans leurs discussions, leurs questionnements des présentations
des experts. Ils ont montré une capacité d'analyse, de réflexion et de bon sens
paysan remarquables. Ils ont pu faire le tri entre des arguments vrais et des
arguments qui étaient plutôt des artifices, ont pu toujours poser les questions
justes.
Donc, là aussi, ça a été un processus citoyen
assez exemplaire, assez stimulant qui ouvre les yeux sur les possibilités
qu'ont Monsieur-et-Madame-Tout-Le-Monde, de réfléchir sur des questions
complexes.
Ce ne sont pas des questions qui sont
l'apanage d'experts, de technocrates.
C'est ce qu'on nous fait croire, mais en
fait, les citoyens et les citoyennes, dans un contexte donné, dans un cadre qui
les soutient, où ils ont du temps, peuvent réfléchir, peuvent délibérer, et
peuvent développer des recommandations et des politiques qui sont tout à fait
honorables et, qui plus est, reflètent bien plus leurs aspirations et leur
désir de vie.
On est en plein dans la démocratie.
Ruth Stégassy : Oui
mais là je vous repose la question, Michel Pimbert : avec le recul, qu'est-ce
que c'est devenu ces voix extraordinaires de ces femmes, de ces petits paysans,
face à des projets, à des enjeux, qui étaient colossaux, vous le disiez
vous-même ?
Michel
Pimbert : Il s'est passé plusieurs choses.
C'était la première
fois qu'on organisait un tel événement en Inde, et je crois que c'était la
première fois que l'on organisait quelque chose comme ça sur le plan
international.
Donc, l'événement
en lui-même a eu un impact, et beaucoup de gens se sont positionnés par rapport
à ça, certains en faveur, d'autres très critiques.
Ruth
Stégassy : Beaucoup de gens, c'est-à-dire ?
Michel
Pimbert : Oh, des gens ... des bailleurs de
fonds, des chercheurs en sciences sociales, des gens qui s'occupent de
politique d'environnement et de développement.
Je crois que
quelque part le processus renversait la donne habituelle, en ce sens qu'il
accordait une large place aux analyses, aux priorités, aux savoirs, de gens
ordinaires, pour réfléchir sur des questions qui sont, d'ordinaire, l'apanage d'experts.
Je crois que ça c'était une première réaction.
Une deuxième
réaction c'est que, tout simplement, ce verdict populaire a renforcé les
agissements, le poids, les convictions, de la société civile en Andhra Pradesh
qui luttait contre ce projet de vision 2020…
Ruth
Stégassy : Est-ce que là encore - pardon, je
vous interrompt mais - est-ce que là encore vous aviez imaginé un
dispositif qui permettait que les discussions au sein du jury soient répercutés
sur l'ensemble de la région ?
Michel
Pimbert : On n'a pas été aussi novateurs qu'au
Mali ; on apprend au fur et à mesure.
Par contre, nous
avons réalisé plusieurs films en Andhra Pradesh ; on a également impliqué la radio
et la télévision. La télévision était très très présente, avec des équipes de
télévision nationale qui sont venues non pas une fois mais trois fois sur une
période de six jours, et on a pu relayer de cette façon-là à la fois le contenu
des débats et le contenu du verdict citoyen.
Mais l'impact
s'est également fait sentir au niveau de la société civile qui se bagarrait
contre ce projet de vision 2020, et les tractations avec le gouvernement ont
continué un certain temps.
Ce
gouvernement a fait l'erreur de vraiment privilégier les populations urbaines
et peu à peu la population rurale en Andhra Pradesh a vraiment compris que
la politique mise en avant par le gouvernement de Djandropabonaïdou, c'est
ainsi qu'il s'appelait, était une politique pour les riches, une politique pour
les gens qui vivaient dans les villes et pas pour la société rurale.
Et au moment
des élections en Andhra Pradesh, Djandropabonaïdou a été ousté par un vote
populaire massif, et c'est sans doute un record en Inde et en Andhra Pradesh
en particulier.
Donc, on pense
que le Prajartirpu - le projet citoyen qu'on a organisé - a participé
à la défaite du gouvernement de Djandropabonaïdou, du gouvernement d'Andhra Pradesh.
Enfin, je
crois qu'il y a eu une autre conséquence, un autre impact, c'est au niveau des
institutions internationales et de l'aide britannique. La nouvelle comme quoi
le gouvernement britannique finançait un tel projet, par le biais de
contributions directes au budget de l'État d'Andhra Pradesh, a été très
mal perçue et vécue par les citoyens et les citoyennes en Angleterre.
À l'époque, la
patronne, le ministre de la coopération, a reçu quelque chose comme 350 ou 400
lettres de son électorat questionnant son choix ou le choix de son ministère
quant au financement du projet 2020.
Les
journalistes ont fait leur travail en Angleterre et ça a suscité un certain
débat ; les membres du Parlement on également posé des questions au
gouvernement, et je crois que le gouvernement britannique - le
gouvernement de Monsieur Blair - a été un peu mis à mal, pas très content
du tout...
Bon, pour
abréger une longue histoire, on sait que une des conséquences du Prajartirpu, ce
jury citoyen, a été une enquête, un audit sur l'impact de l'aide britannique en
Inde, et notamment en Andhra Pradesh.
Il y avait d'autres
facteurs, mais, certainement, le bruit suscité par cette affaire et l'implication
du gouvernement britannique dans le projet vision 2020 - et donc l'ouverture
de marchés pour des firmes, la dérégulation, une donne néo-libérale pour le
développement et la gestion de l'environnement - a suscité suffisamment d'émoi
à la fois dans la société et au niveau des élus, des membres du Parlement, que
cela a conduit à un audit sur l'impact de l'aide britannique en Andhra Pradesh.
Ruth
Stégassy : En bref, Michel Pimbert, c'est un
succès éclatant ? C'est-à-dire : vous avez réussi à éviter le pire et
à endiguer le déplacement de millions de paysans ?
Michel
Pimbert : Ah, ça serait bien de pouvoir dire
cela. On a eu un succès ; une bataille a été gagnée ; le gouvernement
de Djanjopabonaïdou, comme je vous le disais, a été éjecté, et éjecté est
vraiment le terme : c'est une défaite massive et un nouveau gouvernement a
pris sa place.
Au cours de la
première année de ce nouveau gouvernement, effectivement, le discours vis-à-vis
du monde rural était beaucoup plus positif ; le gouvernement a compris que
si le monde rural était négligé il courait à sa perte tout comme le
gouvernement précédent.
Mais ce que je sais aujourd'hui de la situation en Andhra Pradesh,
c'est que la marche forcée vers la libéralisation, y compris du secteur
agricole et alimentaire, va de bon train.
L'Andhra Pradesh
est un État très bien pourvu en ressources naturelles, avec une infrastructure
bonne, et le secteur agricole est perçu comme étant une ressource géo-politique
importante.
Donc, les
firmes sont très présentes, les conseillers...
Pouvoir
contrôler et canaliser l'utilisation des ressources agro-alimentaires de l'Andhra
Pradesh est un enjeu important pour de nombreux puissants de ce monde et, là-dessus,
le jury citoyen que nous avons organisé n'a pas eu d'effet.
Il a participé à la construction d'une résistance citoyenne mais
il faudra bien plus pour éviter le pire.
Les pressions sont très très fortes pour adopter ce modèle que l'on
voit un petit peu partout, à savoir que les paysans n'ont plus de place dans
nos sociétés, ils doivent être à la ville, et que il n'y a pas d'avenir dans le
monde rural.
Ce mythe est
perpétué un peu partout, et il est mis en place actuellement au niveau de l'Andhra Pradesh.
Donc, il y a
encore beaucoup à faire et les partenaires avec lesquels nous travaillons sur
des questions de souveraineté alimentaire se penchent beaucoup sur cette
question et essayent de réfléchir à des formes de résistance et des
alternatives, parfois en faisant des alliances avec des membres du gouvernement
ou des actions qui impliquent des mouvements de peuple indigène ou des
organisations paysannes.
Donc, il
serait faux de dire que le jury citoyen - le Prajartirpu, comme on l'a
appelé - a permis de sauver la mise et de permettre aux gens de vivre la vie
qu'ils souhaitent vivre.
Ruth
Stégassy : Il faut encore cultiver l'imaginaire
politique ?
Michel
Pimbert : Oui, tout à fait. Peut-être que c'est
ça la force ou l'aspect positif le plus fort de ces processus délibératoires, ces
processus citoyens, c'est que l'imaginaire politique est vraiment stimulé.
Comme je le
disais tout à l'heure, ça donne vraiment des béquilles à l'imagination
sociale.
Les gens se
disent : mais oui, on peut être citoyens, on peut avoir une emprise sur la
vie, pourquoi pas, pourquoi est-ce qu'on ne pourrait pas décider ? Et donc,
l'enjeu c'est de réfléchir aux modalités, aux méthodologies, qui peuvent être
employées mais également à la réorganisation de la société qui est nécessaire
pour permettre aux citoyens de s'occuper des affaires de la cité.
Et je crois
que ça, c'est un aspect très très important qui est récurrent dans tous ces
processus de citoyenneté et de reconquête de la démocratie, parce que c'est ça dont
il s'agit à un moment où les décisions dans tous les domaines - la santé, la
recherche, l'aménagement de la ville, l'alimentation, l'agriculture - toutes
ces décisions sont prises par des instances de plus en plus opaques et
éloignées de monsieur et madame tout-le-monde ou du citoyen et de la citoyenne.
Ruth
Stégassy : Vous pourrez ré-écouter cette
émission et consulter notre revue de web hebdomadaire ...
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